Endométriose et Adolescence
Sommaire
Séquence 1 – La dysménorrhée primaire de l’adolescente : faut-il évoquer une endométriose ?
De la puberté à l’âge de 19 ans environ, l’adolescente voit s’installer à la fois la transformation corporelle, l’expression du cycle féminin, et les premiers désirs de sexualité. S’éloignant de l’enfance, cette évolution de vie vers l’âge adulte est marquée par les premiers inconforts et symptômes de la menstruation. Si certaines adolescentes n’éprouvent que des signes légers ou modérés, il peut en revanche s’installer des douleurs abdomino-pelviennes plus importantes, juste avant ou au cours des premiers jours des règles, parfois associées à des symptômes généraux tels que fatigue, insomnie, nausée, et diarrhée.
Il s’agit de la dysménorrhée primaire (ou essentielle), qui survient au cours des premiers cycles ovulatoires, dans les 2 ans suivant les premières règles.
Elle est fréquente et concerne en moyenne 64% des adolescentes (16 à 100% selon les populations étudiées) [Kvaskoff 2024, Hirsch 2020, De Sanctis 2015], et est souvent d’autant plus intense que les règles sont abondantes. Elle est due aux prostaglandines (hormones sécrétées par l’endomètre qui est la muqueuse tapissant la cavité utérine), qui vont provoquer à la fois un rétrécissement artériolaire et une contractilité de l’endomètre, générant ainsi une hypoxie tissulaire (oxygénation insuffisante) et finalement la douleur [Sultan 2012].
Avec le temps, la dysménorrhée primaire s’estompe, en général avant l’âge de 18 ans [Ameli 2024]. La dysménorrhée secondaire (ou organique) apparaît ou s’installe généralement plus tardivement et il faut alors rechercher une autre cause, parmi lesquelles se trouve l’endométriose [Hirsch 2020].
Il est difficile de prédire qu’une dysménorrhée primaire sera annonciatrice de développer plus tard une endométriose, cependant l’amélioration des symptômes sous contraception orale semble associée au diagnostic ultérieur d’endométriose [Knox 2019].
La dysménorrhée primaire de l’adolescente n’est donc pas synonyme d’endométriose, mais elle ne doit pas être négligée car la maladie ne démarre pas qu’à l’âge adulte ni seulement au moment d’un problème de fertilité. A l’inverse, l’absence d’endométriose à l’adolescence n’exclut pas l’apparition de la maladie plus tard dans la vie. Pour éviter une sensibilisation à la douleur, toutes les dimensions de la souffrance doivent être écoutées et suivies, de la capacité à la communication verbale jusqu’aux troubles cognitifs. Toute dysménorrhée doit ainsi être évaluée et surveillée avec attention, pour être, le cas échéant, prise en charge précocement.
L’endométriose est-elle fréquente chez les adolescentes ?
La prévalence (nombre de cas présents dans une population) de l’endométriose chez l’adolescente en général reste difficile à estimer, car elle est très variable selon le type d’enquête et les caractéristiques des populations étudiées (entre 12% et 62%) :
- Il y a déjà une tendance au sous diagnostic car d’une part, tous les examens nécessaires pour affirmer la maladie peuvent ne pas avoir encore été réalisés au moment des premiers symptômes, et d’autre part les lésions d’endométriose peuvent être encore peu développées, voire non visibles à l’imagerie [Janssen 2013].
- De plus, selon une étude épidémiologique basée sur l’IRM pelvienne (Imagerie par Résonnance Magnétique), la fréquence de l’endométriose augmente linéairement avec l’âge, et elle est donc plus basse à 12 ans qu’elle n’est à 19 ans [Millischer 2023].
- Enfin, l’endométriose est plus fréquente chez les adolescentes qui présentent déjà une dysménorrhée sévère ou bien résistante au traitement. Par exemple, la prévalence de l’endométriose est de 49 % chez les adolescentes souffrant de douleurs pelviennes chroniques [Janssen 2013] et de 39,3% chez celles qui présentent une dysménorrhée sévère [Milischer 2023].
En revanche, la validation de questionnaires spécifiques de dépistage a permis d’établir que les adolescentes avec endométriose ont significativement plus de dysménorrhées, de dyspareunies (douleurs lors des rapports sexuels), de douleurs pelviennes chroniques, de troubles intestinaux et de troubles urinaires. Avant d’évoquer la maladie, tous ces signes doivent être systématiquement recherchés, ainsi que l’existence d’antécédents familiaux, d’un faible indice de masse corporelle (< 22) ou de cycles courts (< 28 jours) [Chapron 2024].
Sans attendre l’âge adulte, l’adolescente est concernée par toutes les formes d’endométriose : superficielle, profonde, ovarienne (endométriome), ou bien utérine (adénomyose) [Martire 2023, Millischer 2023]. L’endométriose n’est donc pas rare chez l’adolescente.
Une prise en charge précoce, pluridisciplinaire et experte pour l’imagerie permettra de réduire l’impact de la maladie.
Séquence 2- Le diagnostic d’endométriose : Est-il plus long à poser, et plus difficile à annoncer chez l’adolescente ?
Alors que le cerveau des adolescentes est encore en cours de maturation, la chronicité de l’endométriose risque de développer une sensibilisation précoce à la douleur [Szabo 2022]. Par ailleurs, les douleurs d’endométriose (dysménorrhée, dyspareunie et douleurs pelviennes non cycliques) chez les femmes de moins de 24 ans semblent significativement plus fortes que chez les femmes de plus de 24 ans [Wüest 2022]. Il est donc nécessaire de réduire le délai de diagnostic et de prise en charge de l’endométriose afin de diminuer l’impact sur le système nerveux central et sur la qualité de vie, mais aussi de préserver la fertilité en cas d’endométriose ovarienne.
A ce délai s’ajoute également celui entre l’apparition des premiers symptômes et la première consultation. Dans une étude sur 7000 patientes, il a été montré qu’il faut autant de temps entre les premiers symptômes et la première consultation qu’entre celle-ci et le diagnostic. En effet, alors que les douleurs pelviennes apparaissent majoritairement avant l’âge de 15 ans [Ballweg 2004], la première consultation est souvent retardée pour diverses raisons : l’apparition progressive des symptômes, le sujet tabou de la gynécologie et l’acceptation de la douleur pelvienne, malheureusement parfois présentée comme une « normalité » chez la jeune fille.
Après la première consultation, une autre étude sur le parcours diagnostique de plus de 4000 patientes montre que la durée moyenne pour faire le diagnostic est sensiblement plus long chez l’adolescente que chez la femme adulte [Greene 2009, Dmowski 1999]. Ainsi, paradoxalement, plus l’endométriose apparait tôt, plus il faut de temps pour poser le diagnostic et il peut s’écouler finalement entre 7 à 12 ans entre les premiers symptômes et le diagnostic [Kvaskoff 2024].
L’annonce formelle du diagnostic est hélas parfois éludée par les professionnels de santé, d’une part car il est délicat d’affirmer la maladie sans risque de traumatiser l’adolescente et ses parents, et d’autre part il faut composer avec plusieurs spécificités chez l’adolescente :
- En dehors des facteurs de risques (antécédents familiaux, précocité et/ou abondance des règles), il y a moins de recul qu’à l’âge adulte sur l’historique de la maladie et sur le parcours de soins,
- L’évolution et la complexité des lésions engagent à une certaine prudence sur l’interprétation des résultats d’imagerie médicale.
Le caractère pluridisciplinaire (gynécologue, échographiste, radiologue) répartit la charge de l’annonce du diagnostic, mais pour cela, et sur la base des données d’imagerie, c’est en général le gynécologue qui est en première ligne (70% des cas pour les femmes adultes) [Bourdon 2024].
L’information du grand public, la sensibilisation des professionnels de santé et de l’entourage familial, ainsi que l’orientation vers des centres experts d’imagerie contribueront à raccourcir le délai de diagnostic et de prise en charge de l’endométriose.
Séquence 3- Quel est l’impact de l’endométriose chez l’adolescente ?
Le fardeau de l’endométriose, bien reconnu pour les adultes, est souvent moins bien évalué chez l’adolescente. L’impact sur la qualité de vie, sur les comorbidités et sur le développement social et affectif est important lors de cette période de vie au cours de laquelle une jeune fille est particulièrement vulnérable, mais il sera cependant dépendant de l’évolution et de l’expression individuelle de la maladie ainsi que du parcours de diagnostic et de soins. De plus, selon les données issues de plusieurs études, l’évolution de la maladie entre deux investigations est assez imprévisible : elle peut régresser (42% des cas), rester stable (29% des cas) ou progresser (29% des cas) [Evers 2023].
Quoi qu’il en soit, la dysménorrhée est la 1ère cause d’absentéisme scolaire chez l’adolescente : au moins une fois par mois chez un tiers d’entre elles [De Sanctis 2015]. L’absentéisme scolaire est d’ailleurs proposé comme facteur prédictif d’endométriose, car il est significativement augmenté chez les adolescentes souffrant d’endométriose [Verket 2019].
La qualité de vie des adolescentes avec endométriose est significativement diminuée dans les dimensions physiques et mentales notamment lors des règles. Une précocité des premières règles, des douleurs pelviennes plus sévères et le retard au diagnostic ont été associés à une moins bonne qualité de vie [Gallagher 2018]. Par ailleurs, la dégradation de la composante mentale de cette qualité de vie est corrélée au ressenti psychologique des symptômes [Rush 2019, Facchin 2015, Koller 2013].
Sans attendre l’extension des lésions, l’émergence de la maladie s’accompagne précocement de comorbidités, telles que les migraines. Selon une étude comparative de prévalence, les adolescentes avec endométriose ont près de 5 fois plus de risque de souffrir de migraines. Chez les femmes atteintes d’endométriose, plus les règles sont précoces, plus le risque de migraines est important [Miller 2018]. D’autre part, plus forte sera l’intensité de la douleur migraineuse, plus élevé sera le risque de présenter une endométriose, suggérant ainsi une sensibilité accrue à la douleur chez les adolescentes souffrant de la maladie.
Si on considère le plus long terme, l’endométriose apparue précocement dès l’adolescence générerait des douleurs plus sévères, plus tard, à l’âge adulte. Selon une étude épidémiologique menée sur 4000 patientes adultes, 21% des femmes dont les symptômes sont apparus avant l’âge de 15 ans ont qualifié leur degré de douleur pelvienne de « sévère », contre seulement 14% pour celle dont les symptômes sont apparus à l’âge de 25 ans [Shah 2011].
Toute endométriose chez une adolescente aura donc un impact important que la prise en charge devra minimiser afin de préserver son bon développement vers toutes les dimensions de l’âge adulte.
Séquence 4- Quelle prise en charge diagnostique et thérapeutique pour l’endométriose de l’adolescente ?
Les attentes de l’adolescente sont doubles : D’une part un diagnostic pour expliquer la raison de ses symptômes douloureux, digestifs ou urinaires, et d’autre part une prise en charge efficace qui doit intégrer le maintien de la qualité de vie et de l’activité scolaire et sociale. Même en l’absence à cet âge de projet familial, cette prise en charge doit aussi anticiper la préservation de la fertilité.
Une relation de confiance durable doit s’installer entre l’adolescente et les professionnels de santé qui vont la suivre. La recherche d’informations sur sa maladie lui permettra de compléter la compréhension de son parcours de soins, mais sans oublier que chaque prise en charge est personnelle et propre à chaque adolescente. Ce qui convient à une amie ou bien un conseil issu des réseaux sociaux n’est pas forcément ce qui lui conviendra.
La démarche diagnostique de l’endométriose chez l’adolescente ne se différencie pas sur le fond de celle de l’adulte en dehors des conditions pratiques de l’imagerie médicale notamment échographique qui doit être particulièrement prudente et participative. Dans l’endométriose de l’adolescente, l’échographie pelvienne n’est souvent possible que par voie sus pubienne, et l’IRM pelvienne permet alors d’optimiser la fiabilité de l’imagerie. Toutefois, à cette phase de développement des symptômes, et tenant compte de la prévalence croissante de l’endométriose avec l’âge [Millischer 2023], le moment pour réaliser l’IRM pelvienne devrait être adapté à chaque cas, ni trop précoce (on risque ne pas voir toutes les lésions), ni trop tardif (il ne faut pas retarder la prise en charge thérapeutique).
Le premier objectif thérapeutique sera de soulager les douleurs par un traitement médical. La prise des anti-inflammatoires non stéroïdiens au long cours n’est pas recommandée et n’est souvent pas d’efficacité suffisante. Il a souvent été observé qu’une contraception oestroprogestative ou microprogestative aurait un effet antalgique significatif, tout en prenant en compte que cet effet est suspensif et non curatif. Il convient de rappeler que la contraception orale, même démarrée tôt n’empêche pas, à son arrêt, la reprise de l’ovulation, et par ailleurs n’entraîne pas de prise de poids [Gallo 2014]. Cet objectif du traitement hormonal doit être bien expliqué aux parents qui peuvent y voir plus une contraception qu’un traitement antalgique.
Pour optimiser la prise en charge, les techniques paramédicales doivent aussi être évoquées telles que la kinésithérapie, l’électrostimulation, ainsi que les thérapies alternatives telles que le yoga, l’ostéopathie ou toute autre thérapie cognitive comportementale. Par rapport à l’adulte, il est plus facile chez l’adolescente d’adopter précocement une nouvelle hygiène de vie pour limiter l’impact de la douleur.
Une modification des habitudes diététiques (plus de fruits et de légumes, moins de graisses animales) [Barnard 2023], et certaines supplémentations alimentaires réduisent la composante inflammatoire et douloureuse de la maladie [Mardon – 2023]. Par rapport à l’activité physique, il faut préciser à l’adolescente que l’endométriose ne contre-indique aucunement le sport qui, par une pratique non traumatisante telle que la natation ou la marche (à privilégier plutôt que les sports de contact), permettra de maintenir la souplesse du bassin.
En cas de difficulté à soulager, il ne faut pas hésiter à consulter un médecin algologue (spécialiste de la douleur). Enfin, il convient de dépister toute souffrance mentale qui risque d’altérer le développement scolaire, social et intime de l’adolescente.
La prise en charge peut être soutenue par les programmes d’éducation thérapeutique dédiés aux adolescentes et à leur familles, dispensés gratuitement dans des établissements de santé (hôpitaux, cliniques) sous forme d’ateliers interactifs, [ex : Partenariat Endomind – Polyclinique St Jean 2024]. Avec des outils (planches anatomiques, cartes à thèmes) et techniques pédagogiques adaptées (jeux interactifs), ces programmes permettent, dès l’entrée dans la maladie, de mieux la comprendre, de mieux adhérer au parcours de soins, et de mieux gérer en autonomie, la douleur, les émotions, et les questions de sexualité.